L'argument par analogie

La réfutation par analogie logique

La réfutation par analogie logique est, comme son nom l'indique, un usage de l'analogie orienté vers la contestation de l'argumentation de l'adversaire. Il s'agit de mettre en évidence les failles d'une argumentation en la comparant avec une argumentation dont le caractère inacceptable saute aux yeux. L'idée est donc de rejeter un raisonnement en le mettant en parallèle avec une seconde argumentation présentant la même structure logique, mais menant à une conclusion inacceptable de toute évidence.

La réfutation par analogie logique est une des formes que peut prendre l'argumentation par l'absurde.

La force d'une réfutation par analogie logique est qu'elle met au jour le caractère vicié d'un raisonnement, qui ne sautait pas aux yeux, simplement en en faisant varier le champ d'action. Ce mode de réfutation suppose une compétence argumentative relativement sophistiquée (même dans les cas essentiellement ludiques), puisqu'il suppose que celui qui la manie soit capable d'extraire le mode d'inférence abstrait (et supposément fallacieux) qui sous-tend une argumentation et l'utilise comme « gabarit » pour reconstruire une seconde argumentation inscrite dans un autre domaine.

Exemple

En voici un exemple construit à partir d'une thèse du livre d' Isabelle Stengers (1997)[1] :

Pierre : « Il faut interdire la consommation des drogues douces. En effet, les personnes qui consomment des drogues dures ont généralement commencé par consommer des drogues douces ».

Paul : « Les personnes qui ont consommé des drogues dures ont précédemment consommé du lait. En suivant ton raisonnement, on devrait aussi interdire la consommation du lait, mais tu sais qu'une telle interdiction serait grotesque ! »

Dans sa réponse, Paul établit une analogie logique :

Situation en débat (thème) : l'impact de la consommation de drogues douces sur la consommation ultérieure de drogues dures

Situation analogue (phore) : l'impact de la consommation de lait sur la consommation ultérieure de drogues dures

Ceux qui consomment des drogues dures ont commencé par consommer des drogues douces. Ceux qui consomment des drogues dures ont commencé par consommer du lait.

En conclusion, il importe d'interdire la consommation de drogues douces. En conclusion, il importe d'interdire la consommation de lait.

Si la conclusion de la situation analogue est absurde, la conclusion de la situation en débat l'est également lorsque l'on se base sur ce seul argument.

Exemple

Trudy Govier[2] propose un magnifique exemple de réfutation par analogie logique, qu'elle emprunte à C.S. Lewis. Il s'agit, pour ce dernier, de suggérer que le goût pour le strip-tease peut être considéré comme un indice d'un rapport problématique à la sexualité. A cette fin, il introduit un phore fictif, dépeignant une société qui goûterait au spectacle de dévoilement rituel de matières consommables mais non consommées :

"Imaginez un pays où des gens se rassemblent dans de grands théâtres pour voir quelqu'un apporter sur scène une assiette couverte d'une serviette, qui serait soulevée petit à petit jusqu'à ce que la lumière s'éteigne au moment même où allait être dévoilée une côte de mouton. Vous vous diriez sans doute que dans ce pays, il y a un véritable problème avec le rapport à la nourriture. Ce n'est pas très différent de ce qu'on peut observer dans les spectacles de strip-tease, qui témoignent du fait que le rapport au sexe, dans nos sociétés, est dévoyé".

Ce qui, dans le cas d'une côte de mouton, nous apparaît clairement comme un rituel « foutraque » témoignant d'un instinct alimentaire dévoyé, doit être jugé de même appliqué à la nudité humaine et à la sexualité.

Exemple

L'exemple qui suit illustre le pouvoir de dévoilement que peut avoir une réfutation par analogie logique.

Extrait de Foucart, S. "Le tabac et les abeilles" (Le Monde, 12/10)

« Prenez un groupe d'hommes jeunes, en bonne santé. Assurez-vous qu'ils pèsent tous environ 70 kg. Puis enfermez-les pendant deux jours et contraignez-les à fumer suffisamment de cigarettes pour obtenir la mort de la moitié d'entre eux. Relevez la quantité de cigarettes inhalées pour parvenir à ce résultat : vous venez d'obtenir ce que les toxicologues nomment la "dose létale 50" sur quarante-huit heures (ou DL50-48 heures). C'est la quantité d'un toxique qui, administrée sur une période de deux jours, a une chance sur deux de tuer un individu. En se fondant sur la seule toxicité de la nicotine, il est vraisemblable que la DL50-48 heures de la cigarette blonde soit de l'ordre de cent cinquante paquets par individu. Divisez ensuite cette quantité par dix. A ce stade, vous ignorez encore à quoi correspond le résultat obtenu (c'est-à-dire quinze paquets).

A rien ? Détrompez-vous : l'expérience et le calcul que vous venez de conduire vous apportent la "preuve scientifique" que la cigarette est un produit à "faible risque" pour les humains, pour peu que sa consommation demeure sous le seuil de quinze paquets quotidiens. A cinq paquets de blondes par jour, vous êtes donc très largement en deçà du seuil de risque.

Grotesque ? C'est très précisément de cette manière que sont évalués les risques présentés par les nouvelles générations d'insecticides (dits néonicotinoïdes) pour l'abeille. Si l'on estime qu'une butineuse est quotidiennement exposée à une dose d'insecticide de l'ordre d'un dixième de celle qui lui est fatale, alors le produit est jugé, de manière tout à fait arbitraire, à "faible risque"... »

  1. Stengers, Isabelle (1997)

    Stengers, Isabelle (1997) Science et Pouvoir. Labor

  2. Govier, Trudy (2010)

    Govier, Trudy (2010) A practical study of argument. Wadsworth Cengage Learning

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