La question de la vérité ne se pose pas pour certains arguments
Cependant, le critère de vérité n'est pas toujours pertinent. Pensons par exemple aux nombreux cas où le phore n'est pas choisi pour sa vérité, mais pour sa plausibilité ou son caractère parlant. Bien des phores utilisés dans des argumentations comparatives se donnent clairement pour fictifs. C'est en particulier le cas pour la plupart des réfutations par analogie logique.
Exemple :
L'exemple suivant illustre que le critère de la vérité n'est pas toujours pertinent. Il est très souvent repris et discuté dans les ouvrages d'argumentation nord-américains. Il est emprunté à Judith Jarvis Thomson, auteur d'un essai de philosophie morale ("A Defense of Abortion", Philosophy & Public Affairs 1:1, 1971, pp.47-66) visant à défendre le droit à l'avortement. L'argumentation comparative qu'elle développe passe par « l'expérience de pensée » suivante (vous trouverez une présentation de la pensée de Thomson ici) :
"Vous vous réveillez le matin dans votre lit, et vous découvrez que vous vous trouvez dos-à-dos avec un violoniste inconscient – un violoniste de grande renommée internationale. Il a été diagnostiqué comme souffrant d'une maladie des reins mortelle, et la Société des Amoureux de la Musique, après avoir examiné toutes les données médicales disponibles, a découvert que vous seul aviez le groupe sanguin permettant de le sauver. Aussi vous ont-ils kidnappé, et au cours de la nuit, le système sanguin du violoniste a été branché sur le vôtre, afin que vos propres reins travaillent à extraire les poisons du sang du violoniste, dans le même temps qu'ils continuent à purifier le vôtre. Si le violoniste est débranché de votre corps à ce jour, il mourra ; mais s'il reste branché pendant neuf mois, il sera guéri, et pourra être débranché en toute sécurité".
Thomson défend qu'il est légitime de décider de débrancher le violoniste, même si cette décision doit provoquer sa mort. Le droit à la vie, pour Thomson, n'implique pas le droit à disposer du corps d'une autre personne. Aussi, en débranchant le violoniste, vous ne violez pas son droit à la vie, mais le privez simplement de quelque chose auquel il n'a pas droit – l'usage de votre propre corps : « Si vous l'autorisez à utiliser vos propres reins, c'est un effet de votre gentillesse, et non quelque chose qu'il peut réclamer de vous comme son dû ».
Sur cette base, Thomson tire une analogie avec le droit à l'avortement : pour les mêmes raisons, dit-elle, l'avortement ne viole pas le droit à la vie du fœtus, mais prive simplement le fœtus de quelque chose – l'usage du corps de la femme enceinte – auquel il n'a aucun droit. Ainsi, pour Thomson, il ne s'agit pas d'accuser une femme qui mettrait un terme à sa grossesse de manquer à ses obligations morales, mais plutôt de considérer qu'une femme qui mènerait le fœtus à son terme est une sorte de bon Samaritain, qui va au-delà de ses obligations.
Que l'on trouve ou non l'argumentation de Thomson convaincante, il apparaît clairement que le critère de vérité des prémisses, ou d'adéquation descriptive, ne fait pas sens : ce que Thomson propose est une expérience de pensée, dont elle propose de transférer la conclusion au thème (la question du droit à l'avortement). La situation évoquée est non seulement fictive, mais aussi parfaitement invraisemblable : ce qui compte, c'est sa capacité à « faire sens », et à éclairer le dilemme devant lequel se trouve la femme enceinte. Le critère de vérité n'est donc pas pertinent ici.
Complément :
Pour exercer votre esprit critique, discutez l'acceptabilité de l'argumentation comparative suivante, sur la base des similarités et dissemblances entre le phore et le thème :
« Vous avez bien géré votre carrière. Vous avez une belle maison et une autre maison à la campagne. Vous avez une belle voiture. Bref vous vous autorisez une vie luxueuse. Au fond, vous êtes comme ces parvenus qui ont tout et ne donnent rien. Vous ne pensez qu'à vous ».