Les principaux arguments sociaux et éthiques de la controverse
Nous avons vu que les intervenants abordent dans leur CP des thèmes extérieurs à l'expérimentation sur la disparition des abeilles, bien que les CP aient tous été rédigés en réaction à la publication de Henry et al. (2012)[1]. Ils évoquent des questions juridiques, sociales, sanitaires et éthiques. Ce sont ces questions qui retiendront notre attention maintenant.
Question
Selon vous, quels sont les principaux arguments sociaux et éthiques de la controverse ?
Voici les principaux thèmes d'opinions et d'arguments de la controverse.
LE RETRAIT DU MARCHE DU CRUISER
L'INRA, qui apporte la preuve expérimentale de la toxicité des doses sublétales d'insecticides, reste totalement silencieux au sujet du retrait éventuel du marché de l'insecticide qu'il a testé.
Le Ministère « lance une procédure de réévaluation de l'autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR ».
La Confédération paysanne montre son opposition au processus actuel d'homologation en pointant que les insecticides qui l'ont obtenu sont classés « cancérigène probable et perturbateur endocrinien aux USA et au Canada ». L'UNAF demande « l'annulation des autorisations du Cruiser ». FNE annonce, dès son titre « Bonne nouvelle pour les abeilles, le Cruiser bientôt interdit », et EELV énonce qu'il « faut à tout prix retirer l'autorisation de mise sur le marché ».
Syngenta, en affirmant que son produit est utilisé sans incident, se positionne de facto contre ce retrait.
LE PROCESSUS D'HOMOLOGATION DES INSECTICIDES ET L'ETHIQUE
Le processus d'homologation des insecticides est discuté par plusieurs intervenants.
L'INRA ne demande pas de revoir le processus d'homologation des insecticides, bien que sa publication dans Science montre la toxicité d'un insecticide autorisé, et que son protocole expérimental soit différent de celui exigé par les procédures officielles d'évaluation des insecticides. On observe donc que l'INRA apporte des arguments solides, tant pour une refonte du processus d'évaluation que pour le retrait du marché du Cruiser, mais qu'il ne demande ni l'un ni l'autre, se cantonnant dans le domaine scientifique.
L'argument qui traite de l'homologation des insecticides est celui qui relie des aspects scientifiques, juridiques et éthiques. La procédure d'homologation est critiquée par les associations parce qu'elle conduit à la mise sur le marché d'un insecticide dangereux. Ce paradoxe est interprété sous l'angle de l'éthique : si la procédure est mauvaise, c'est qu'il existe une sorte de collusion entre le Ministère et des scientifiques d'une part, les fabricants d'autre part. Pour la Confédération paysanne, « Les décideurs aurons un jour à répondre de leur complicité avec les intérêts des firmes devant tous les citoyens et les paysans ». Le président de l'UNAF « pose la question de la pertinence du processus d'homologation des insecticides de la validité des tests abeille, de la compétence et de l'indépendance des groupes d'experts ». FNE, qui se montre positif pour l'avenir, porte cependant, de façon sous-entendue, un regard sévère sur le passé des institutions officielles en se réjouissant : « Enfin une prise de conscience ». La bouteille à moitié pleine laisse voir qu'elle est à moitié vide.
SUR LA REACTION DU MINISTERE
La réaction du Ministère à la publication de Henry et al. (2012) est discutée par deux associations opposées dans leur évaluation. L'UNAF parle « d'incurie du Ministère de l'agriculture » dans le processus d'évaluation des insecticides. La Confédération paysanne exprime sa colère à l'encontre du Ministère qui « « veut lancer la procédure de réévaluation de l'autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR » !!!!!!!!!!! », et qui « n'a opposé que mépris » aux nombreuses études qui montrent « la nocivité de ces nouveaux pesticides ». A l'opposé, FNE met en avant le « signal extrêmement positif » que constitue le lancement de la procédure de retrait de l'autorisation de mise sur le marché du Cruiser. Cette opposition entre FNE et les autres associations est la seule qui se manifeste parmi elles.
L'ARGUMENT DE LA MENACE SUR LA SANTE HUMAINE
Bien que la recherche parue dans Science soit exclusivement consacrée aux abeilles, plusieurs intervenants de la controverse (confédération paysanne et EELV) insistent sur des aspects importants de santé humaine, soit pour traiter de la toxicité des insecticides pour les hommes, soit comme élément d'ethos.
Les extraits repris ci-dessous traitent de la santé humaine.
La confédération paysanne en parle dans le titre du CP : « Pesticides mis en cause : combien faudra-t-il attendre de morts ? ». Puis elle traite abondamment de problèmes, plus qu'elle ne parle des abeilles : « Le thiamétoxam, matière active du Cruiser est classé cancérigène probable et perturbateur endocrinien aux USA et au Canada, alors que le Cruiser OSR est vendu en France sans aucune classification toxicologique. »
« Combien faudra-t-il de morts avant que l'on remette en cause les processus de mise en marché qui ne profitent qu'aux firmes de pesticides au détriment de la santé des paysans[i] et de l'équilibre de la faune et de la flore ? Que faut-il encore au ministère pour interdire immédiatement ces poisons à la veille des semis ? La confédération Paysanne exige l'interdiction immédiate de tous les insecticides systémiques de la même famille, les néonicotinoïdes. »
« Les décideurs auront un jour à répondre de leur complicité avec les intérêts des firmes devant tous les citoyens et les paysans ».
EELV aborde aussi la santé humaine dans son CP : « De plus en plus d'agriculteurs (2) affectés par ces produits doivent passer devant les tribunaux pour obtenir la reconnaissance de leurs maladies professionnelles, ce n'est pas normal ! »
De son côté, Syngenta mentionne son souci de la santé humaine dans la partie du CP qui constitue une sorte de bandeau de présentation de l'entreprise : « nous aidons à accroître les rendements et la rentabilité des cultures, à protéger l'environnement et à améliorer la santé et la qualité de vie »